Pourquoi ceux ou celles qui dénoncent des violences sexuelles sont-elles toujours stigmatisées ?

Relire les propos écrits çà et là sur le réseau social Twitter à propos de la délation familiale (sic), de la logorrhée verbale(sic encore !) de celles ou ceux qui ne rechercheraient que l’attention d’un public bien trop complaisant à leur égard ou de personnes qui utiliseraient #twitter comme un espace de parole qui violerait la présomption d’innocence a réveillé chez moi une saine colère.

Pas simplement parce que je fus victime mais parce que décades après décades, en tant que victime, aidante, membre d’association de victimes, de groupes de paroles, de prévention de la délinquance puis de praticienne et parfois de coach de vie, il est usant de s’apercevoir que rien ne change ou si lentement que cela en est désespérant.

il y a en France 6.7 millions de personnes victimes d’inceste et chaque année, 165 000 enfants sont victimes de violences sexuelles.

Nous sommes donc plusieurs centaines de milliers à le dire et pourtant, les mêmes mots reviennent :  celui ou qui parle, qui brise le tabou est d’abord celui qui rompt une règle tacite et c’est le plus souvent la victime de violences sexuelles (ou les victimes collatérales). Sa parole est questionnée,  parfois entendue, mais la plupart du temps, elle continue d’être mise en doute, pire stigmatisée et la blessure engendrée par cette constatation ne se referme jamais tout à fait.

 

Violences sexuelles : dire l’indicible

Alors que dire l’indicible est une quête si douloureuse qu’elle a pu rendre certains bègues, d’autres, violents, suicidaires,  (on le sait, les violences sexuelles sont des facteurs de comorbidité) que sais-je encore, tant la cohorte des traumatismes qui surviennent après la maltraitance est grande.

Il suffirait encore de lire Muriel Salmona, de dialoguer avec les professionnels et les bénévoles des associations de victimes, de parler aussi avec les éducateurs de l’ASE ou ceux de la PJJ et de l’éducation de rue pour avoir une photographie bien plus nette de ce que ce fléau représente en France.

Et je ne parle pas de la violence sexuelle contre les adultes, les femmes principalement. Il suffit d’ailleurs de savoir que la première des violences faites aux enfants prépare, si j’ose dire, dans bon nombre de cas à la violence subie adulte pour comprendre l’ampleur des dégâts.

La parole ou la décision de parler devrait être un moment salué comme un acte de courage inouï. Pourtant, elle continue d’être méprisée, vilipendée. C’est une famille que l’on brise dit-on parfois. La victime étant d’ailleurs la première à s’interdire de le faire pour cette raison. Elle ne réalise pas que justement c’est bien parce qu’elle a vécu dans un simulacre de famille ou pour le dire plus correctement dans une famille dysfonctionnelle, qu’elle doit parler pour que tout cela cesse.

Les bourreaux le savent bien (ils le susurrent tant et tant de fois à leurs victimes), on ne croira pas la victime et quand bien même on l’écouterait, elle sera bannie.

Être à jamais celle ou celui qui parle (au sens de dénoncer des violences) est un triste privilège et celles et ceux qui l’ont fait le savent bien. Cela reste un parcours de combattant mais ils ou elles ne sont jamais considérées comme des héros ou des héroïnes.

 

Les pédocriminels, des prédateurs très bien intégrés dans une société patriarcale

Notre justice est imparfaite, notre société est patriarcale, lorsque l’on parle de violence sexuelle, les gens n’entendent que le mot « sexuel » et la honte, la faute est supportée par la victime, très rarement par l’oppresseur (c’est en effet le plus souvent un homme à plus de 90 %).

la culture du Viol (et de son corollaire le silence) est très généralisée, l’impunité des pédocriminels n’est pas une vue de l’esprit. Les récentes affaires dont celle qui nous occupe aujourd’hui,  et celles qui émaillent tristement l’église catholique  nous le démontre à chaque instant.

C’est ainsi que l’on peut s’époumoner à parler d’emprise, de traumatisme,  d’en expliquer les arcanes et les mécanismes comme le fait Muriel Salmona avec tant de talent et de persévérance depuis des années, il y aura toujours des personnes qui, toutes cultivées qu’elles soient, ne voient en cela que l’expression de différents familiaux, quand il ne s’agit pas d’inconduites sexuelles ou de légèreté ou de mythomanie voire de manipulation.

Les juges, les avocats, les éducateurs, les travailleurs sociaux, les policiers et les gendarmes et même les thérapeutes ne sont pas tous formés à l’inceste et aux violences sexuelles et surtout il subsiste d’importants biais cognitifs qui empêche d’envisager clairement la situation.

C’est d’abord par ce que ces bourreaux, les agresseurs,   sont des loups dans la bergerie : on les trouvera dans les lieux mêmes censés protéger et/ou accueillir ces enfants : familles d’accueil, foyers, centre d’éducation, écoles, centre aérés, personnel de santé, tribunaux, ministères.

Toutes les couches sociales de notre société sont touchées : dans les boudoirs chics du 16e à Paris, les appartements aérés des beaux quartiers des villes de province, les cités, les pavillons de banlieue, les exploitations agricoles de France et de Navarre.

Ces violences et ce silence qui les accompagnent sont comme une sorte de lèpre, on a peur d’être contaminée si on le dénonce. Voilà pourquoi les proches, même non complices des actes, finissent par être des complices et des criminels pour justement non-dénonciation de crimes !

C’est aussi parce que notre société ne veut pas ouvrir les yeux ! Ce n’est pas seulement se donner les moyens financiers d’agir efficacement, c’est radicalement changer de vision de société. Un changement profond structurel et organisationnel.

J’ajouterais que si toutes les victimes ne deviennent pas des bourreaux, le phénomène de reproduction des violences sexuelles n’est pas rare.

 

Une prise en charge insuffisante

Les remèdes en France sont parfois plus douloureux voire autant que le mal lui -même : un enfant qui dénonce perd un semblant de famille, se retrouve en famille d’accueil, isolé, seul et subit parfois encore davantage les abus d’autres enfants eux même violentés puisque le suivi psychologique est quasi inexistant ou pas à la mesure du fléau.

Quand l’ancienne victime finit par se reconstruire (il faut quelques années ou décades), il lui faut à nouveau parler pour stopper la spirale et là encore rien n’est simple : fonder une famille, parler à sa ou son conjoint, à ses enfants (au risque de leur faire perdre une certaine innocence), tenir debout et croquer la vie à pleine dents suppose aussi de faire la paix avec soi-même. Là encore les mots viennent déranger d’autant plus si le bourreau n’a pas été (et c’est la majorité) jugé ni même inquiété.

Des pistes de solutions ?

Alors que faire ? J’ai conscience d’avoir dressé un tableau un peu désespérant et de n’avoir pas de solutions toutes faites. Pa ailleurs ce serait fort présomptueux de ma part.

Former, éduquer, suivre (au sens de soigner) ! Un triptyque vertueux qui nécessite que l’on mette vraiment les moyens et pas ce saupoudrage de mesurettes auquel on assiste depuis une quinzaine d’années sinon davantage .

Il y a paradoxalement moins de moyens aujourd’hui à l’ASE qu’il n’y en avait il y a 35 ans et il me semble que les Juges croulent sous les dossiers, demandes de mesures éducatives qu’ils ne peuvent mettre en place faute de moyens.

Donner les moyens aux associations qui ont l’expertise, l’accès aux personnes victimes et qui ont su créer une ingénierie thérapeutique efficace.

Eduquer les enfants : c’est dès ¾ ans qu’il faut pouvoir expliquer à un enfant qu’on n’a pas le droit de faire tel ou tel geste avec lui. A 8 ans, il est parfois déjà trop tard.

Eduquer les parents : non on ne peut pas forcer un enfant à embrasser cet oncle ou ce grand cousin pourtant si proches des enfants ; et les aider à observer attentivement leur enfant.

Eradiquer la culture du viol : la honte doit changer de camp

Suivre psychologiquement les victimes mais aussi les bourreaux quel que soit leur âge.

Rappeler et réviser ses fondamentaux en matière de psychologie de l’enfance : oui nous sommes la patrie des écrivains licencieux et des psychologues ou psychiatres aux dérives maintenant clairement établies mais on peut s’en affranchir !

Il n’y a pas de risque zéro mais lorsqu’un problème est pris à temps, on peut éviter des conséquences trop dommageables !

 

Pour en savoir davantage  sur les violences sexuelles et l’inceste :

lire la définition  des violences sexuelles et de l’inceste dans les informations du Sénat : ici 

Muriel Salmona : le compte twitter

le site : ici 

Face à l’inceste : le site 

fondations pour l’enfance  :