salaud-de-pauvres-coup-de-gueuleSalauds de Pauvres !

Extraits de l’article de Jean-Claude Guillebaud dans TeléObs

C’est  dans son film « la Traversée de Paris »(1956) que Claude Autant-Lara met dans la bouche de Jean Gabin cette fameuse insulte que l’on attribue originellement à Louis-Ferdinand Céline. Je ne l’ai pas reprise par hasard. Elle redevient plus actuelle que jamais. Et cela par notre faute, notre molle indifférence, notre consentement abject à l’injustice. Ces dernières semaines, deux petits signaux, à peine remarqués dans le déluge médiatique quotidien, nous l’ont rappelé.

Prenons le temps de rapprocher ces deux tintements de tocsin. Le premier, on le doit à un sociologue intrépide, professeur à l’université du Luxembourg. Son dernier livre est un pavé dans la mare (1). Il s’en prend vertement à tous ces faiseurs d’illusions, ces bons apôtres qui tentent de nous convaincre depuis plus de vingt ans que les inégalités n’augmentent pas vraiment dans notre beau pays.

[…] Dans les faits, les inégalités véritables ont bondi de quatre points depuis quinze ans, tant et si bien que la France, traditionnellement désignée comme le pays européen le plus attaché au principe d’égalité, est passée, en ce domaine, derrière l’Allemagne et les pays scandinaves. La correction n’est pas cosmétique. Chauvel a raison de placer en exergue de son livre une phrase de Sigmund Freud : « Inutile de dire qu’une civilisation qui laisse insatisfaits un si grand nombre de ses membres et les pousse à la rébellion n’a pas d’espoir de se maintenir durablement, et d’ailleurs ne le mérite pas. » Une nouvelle phobie extravagante se développe dans notre pays : la « pauvrophobie », c’est-à-dire une haine toute crue, un mépris avoué pour les plus fragiles, les plus faibles.”   Lire l’intégralité de l’article  : ici 

La « pauvrophobie » ou la Peur et selon moi la Haine des pauvres

Nous y sommes donc ! La France est un pays qui ne s’occupe plus de ses pauvres.   Pire elle en a peur, veut les cacher ou s’en éloigner. Le nombre de personnes, vivant en France, dont les revenus figurent sous le seuil de la pauvreté, ne cesse d’augmenter.  Mais les moyens mis en oeuvre pour les cacher ou les éviter aussi ! Tandis que sur la place publique,  nous multiplions les occasions d’ergoter et de nous lisser les plumes toute honte bue.

Il y a 5 ans, je travaillais encore auprès de la direction de la communication de la Fédération Française des Banques Alimentaires  (en tant que #RP) et les chiffres (et expressions) déjà m’effaraient par la brutalité des situations qu’ils suggéraient. Et que je voyais tous les jours dans le cadre de mes activités associatives et professionnelles.

Aujourd’hui, des centaines de milliers de personnes, travailleurs ou non, de familles monoparentales flirtent (sans plaisir) avec la pauvreté.  Certains bataillent pour obtenir ce  précieux sésame (l’emploi en CDI)  qui ne leur garantit pourtant pas d’obtenir un logement. D’autres s’emploient à ne pas mourir de faim…. Enfin certains, et de plus en plus nombreux, meurent de froid et de faim dans nos rues. Mais il ne faut pas en parler. Les pauvres sont en effet comme une lèpre qu’il serait trop facile d’attraper.

Plus qu’un coup de gueule, c’est une énorme colère contre notre gauche bien sûr, parce qu’elle a failli à entendre la misère – elle s’y résout toujours mal – à mettre les mains dans le cambouis – elle est devenue  gauche caviar –  à la regarder en face.  Et je ne parle pas de la droite, dont les recettes sont de nature à augmenter la misère.  Mais je m’attarderais plutôt sur ma famille de gauche qui se repose aussi (et surtout ?) sur les centaines de milliers d’associations qui ont servi, qui servent encore de matelas social pour amortir la misère.

Et heureusement !  Ces centaines de milliers de bénévoles qui quotidiennement viennent en aide aux démunis, aux laissés pour compte, aux personnes isolées, aux personnes handicapées ou empêchées de travailler, celles temporairement incapables de s’insérer ou de subvenir dignement à leurs besoins, font bien mieux que du bénévolat.  Ils sont au cœur de la cité, des acteurs politiques, au sens noble du terme, et de premier plan !

Sauf que ce matelas associatif absorbe de plus en plus difficilement les chocs. Au fur et à mesure, les finances se raréfient et l’obligent à consacrer une part de plus en plus importante de son activité à la recherche de fonds.  En effet, les subventions publiques s’amenuisent drastiquement. Et on demande au secteur une certaine efficience et rentabilité (?)  des actions sociales. On en mesure d’ailleurs les performances.  L’effet ciseau craint et dénoncé par bon nombre de dirigeants associatifs est là.  Peu de subventions, des demandes croissantes, des moyens humains et logistiques parfois insuffisant et en face une exaspération à la mesure de la paupérisation.   De surcroît, les bénévoles qui apportent leur concours indispensable sont aussi – et souvent d’ailleurs –  ces mêmes personnes qui se retrouvent en situation de précarité. Un cocktail qui pourrait se révéler particulièrement instable et explosif.